Par Jean Ledan fils –
À date, aucune explication précise n’existe sur l’origine exacte du patronyme Madame Colo attribué à la fameuse fontaine au Bel-Air à l’angle des rues du Bel-Air et du Peuple, à Port-au-Prince. L’information la plus vraisemblable a été fournie par Gérard Jolibois dans sa chronique intitulée « Le saviez-vous ? » du journal Le Nouveau Monde datée du 28 août 1973. M. Jolibois informe que la fontaine Madame Colo aurait été ainsi baptisée en raison d’une dame nommée Clorinde, surnommée Madame Colo. Clorinde était une épicière très populaire qui habitait ce quartier du Bel-Air depuis de nombreuses années. En raison de sa popularité et fort probablement en raison de certains actes de charité, elle légua son surnom à ce carrefour où se trouve la fontaine.
Ce fut au fil du temps que l’appellation Madame Colo fut attribuée à la fontaine par la clameur publique. Lors de son érection, il y avait déjà une autre fontaine, dénommée par la suite Monsieur Colo. Un an après son avènement à la présidence, Nicolas Fabre Geffrard entreprit d’aménager l’approvisionnement en eau potable de la capitale. Il modernisa la tuyauterie qui amenait en ville l’eau de Turgeau, il construisit plusieurs fontaines publiques dont les deux principales étaient érigées au Morne-à-Tuf, à proximité de l’actuelle place Sainte-Anne, alors nommée place du Marché, et au Bel-Air.
Selon Georges Corvington, la fontaine à la place du Marché avait été inaugurée le 15 janvier 1860 ; il la décrit ainsi : « … un beau monument, comportant une colonne cannelée en fonte, d’une hauteur de 20 pieds environ, au sommet de laquelle est juchée la statue d’un laboureur appuyé sur sa bêche. L’eau, coulant d’une cuvette, jaillissait de six gueules de lions en relief, placées au-dessous d’une table circulaire en pierre. Un bassin d’une vingtaine de pieds de circonférence recevait le liquide. Ce monument, commandé en Europe, avait été monté par l’ingénieur haïtien Charles Grant. »
Deux ans plus tard, le 15 janvier 1862, selon le même auteur, eut lieu l’inauguration de la fontaine au Bel-Air et la bénédiction en fut assurée par le curé de la capitale, le père Pascal. M. Corvington la dépeint : « Comme celle du Morne-à-Tuf, elle est constituée d’une colonne cannelée, surmontée cette fois d’une statue de femme, que l’on assimilera à la déesse de la Liberté. L’eau s’échappant des becs était recueillie par un bassin circulaire d’une capacité égale à celui de la fontaine du Morne-à-Tuf. » La fontaine au Morne-à-Tuf, agrémentée du laboureur, avait été appelée Monsieur Colo par la population et celle au Bel-Air, surmontée de la déesse de la Liberté, Madame Colo.
Une autre hypothèse a été fournie par un historien du Morne-à-Tuf, Joseph Jérémie. D’après lui, Monsieur Colo symbolisait le Travail et Madame Colo, la Liberté. Fusionnant le message des deux fontaines, M. Jérémie arriva à déduire que celles-ci signifieraient ensemble « Le Travail assure la Liberté ».
En fin de compte, Monsieur Colo a disparu et Madame Colo a été récemment ressuscitée. Une nouvelle statue a été érigée au même emplacement au Bel-Air. La statue originale, selon l’auteur cité, avait été décapitée vers septembre 1991 par un engin lourd qui opérait à ce carrefour. Avec le choc que reçut le monument, la tête de Madame Colo se détacha du tronc et roula sur la chaussée. Aucun résident du quartier ne pensa à récupérer voire sauvegarder cette pièce importante.
* Jean Ledan fils – L’Histoire d’Haïti – La “petite histoire”, illustré, ISBN # 978-99935-7-842-0, Bèljwèt Publications, PAP, 2010, pp. 49-51 ; Citations dans Georges Corvington, Port-au-Prince au cours des ans, tome II 1804-1915, Les Éditions du CIDIHCA, Montréal, 2003, pp. 176, 177, 215.