Augmentation du prix des produits pétroliers, inflation et recettes fiscales

Les prix internationaux et les conditions économiques internes

Entre 2003 et 2015, la tendance des cours des produits pétroliers était à la hausse en dépit des fluctuations inhérentes à ce type de marché. Apres un pic en 2008 et une baisse en 2009, le mouvement ascendant a repris à partir de 2010. Le cours du brut West Texas Intermediate s’est maintenu au-delà d’US$ 93 le baril entre 2011 et 2014 avant de redescendre à US$ 48.9 en moyenne en 2015 et à moins de US$ 45 durant le premier semestre de l’année civile 2016.

Dans un tel contexte international et compte tenu des difficultés économiques post-séisme, les prix au détail des produits pétroliers n’avaient pas été modifiés depuis mars 2011.

Cette décision n’est pas due uniquement à une inhabituelle générosité étatique. En 2008, l’accord Petro-Caribe signé avec le Venezuela permettait aux autorités de garder à titre d’emprunt au moins 50% de la valeur importée des produits pétroliers vu les prix élevés de l’époque.

Dans l’ensemble, les rentrées financières de l’Etat liées aux produits pétroliers demeuraient confortables. Tout au plus, l’on peut dire que la part venant de la taxation et qui pouvait financer le budget de fonctionnement a cédé le pas à la part provenant de l’emprunt qui pouvait alimenter le budget dit d’investissement.

L’argent étant fongible, et le coût futur de l’emprunt (taux de rentabilité des investissements versus taux d’intérêt du remboursement) n’étant absolument pas pris en compte en Haïti, le budget d’investissement pouvait être largement financé sans tenir compte des rentrées fiscales tirées des carburants.

Implicitement, les prix élevés de ces derniers étaient considérés comme un facteur positif pour l’économie Haïtienne, étant donné le rapport positif entre le niveau des prix et la part des ventes qui pouvait être gardée à titre d’emprunt. Certains ont même parlé de l’accord Petro-Caribe comme d’une « manne pétrolière ». Cela, dans un pays purement importateur de produits pétroliers, et en oubliant évidemment le flux de remboursements à venir.

La baisse des cours à partir de 2015 est venue, on dirait comme une calamité, réduire les ressources du Gouvernement. Avec un prix du baril à moins de US$ 50, la part des rentrées dues à Petro-Caribe diminuait drastiquement. Le Ministre de l’Economie et des Finances (MEF) a décidé qu’il fallait donc rétablir le mécanisme de taxation prévu par la Loi. D’où, la forte augmentation des prix réalisée en octobre 2015. A la fin du mois d’août 2016, le MEF propose une nouvelle augmentation du prix des carburants en vue de regagner pour l’Etat sa part quelque peu érodée suite à la dépréciation continue de la gourde alors que le prix au consommateur est demeuré inchangé.

Une approche considérée comme pragmatique par les autorités
vu le besoin impérieux de ressources pour l’Etat

En dépit de l’argumentation présentée par le MEF en octobre 2015 et en août 2016, la question clé demeure tout simplement le potentiel fiscal énorme des carburants : caractère essentiel de ces produits pour les producteurs de biens et services ainsi que pour les consommateurs, assiette importante, circuit de commercialisation relativement bien cerné. En clair, une source sûre de recettes dans un pays aux secteurs informels hypertrophiés et où la sous-déclaration en douane et la contrebande largement pratiquées constituent une contrainte sévère à la taxation directe et indirecte.

Il s’agit de taxer le plus possible un petit nombre de marchandises largement consommées. Très loin de la théorie d’un système idéal de taxation prôné par le Fonds Monétaire International (FMI), soit des taux d’imposition le plus faible possible appliqués à l’assiette la plus large possible. En Haïti, où même ce petit groupe de marchandises n’est pas facilement taxable, le FMI, se rendant à un certain réalisme, a suggéré et appuyé le MEF il y a déjà de nombreuses années, dans la mise en place d’un mécanisme de taxation pouvant permettre de tirer le maximum de recettes des produits pétroliers.

Le réalisme financier public et la difficulté de taxer prennent le pas sur l’analyse économique

Il s’agit donc en partie d’un mécanisme de facilité pour les administrations fiscales qui ignorent au fond les conséquences micro-économiques (pour les producteurs et les consommateurs) et macro-économiques (pour l’Etat lui-même entre autres) d’une taxation trop forte des produits pétroliers compte tenu de l’évolution d’autres variables macro-économiques.

Pour les producteurs, il s’agit essentiellement d’un impact direct et indirect sur les coûts de production tandis que pour les consommateurs il est question surtout d’une modification de la structure des dépenses : (a) les ménages peuvent réduire leur consommation directe et indirecte de produits pétroliers, mais seulement jusqu’à un certain seuil et maintenir pro ou prou la consommation d’autres produits ou (b) maintenir le même niveau d’utilisation de produits pétroliers ; ce qui aboutit à une baisse de la demande des biens et services hors produits pétroliers si leurs revenus n’augmentent pas.

Il sera provoqué un changement du niveau des prix dans l’économie et un changement de comportement des agents économiques qui auront pour conséquence la réalisation effective par l’Etat d’un montant de recettes fiscales moindre que celui espéré ou prévu au départ. La non atteinte de l’objectif proviendra à la fois d’une croissance moindre de la vente de produits pétroliers que celle prévue au départ et de la diminution ou d’un ralentissement de la demande des autres produits et services. Contrainte budgétaire des ménages oblige.

L’économie semble de façon souterraine avoir repris ses droits

Dans un contexte macro-économique marqué par l’accélération de l’inflation et la dépréciation du taux de change, l’on peut vérifier l’impact partiel sur les revenus fiscaux de l’augmentation en octobre 2014 des prix des produits pétroliers.

L’on peut tirer quelques résultats à partir du tableau no1 ci-dessous. En vue de mesurer la valeur réelle (ici le pouvoir d’achat en dollar) des recettes fiscales, le taux de change a été choisi comme déflateur. A des fins de comparaison, les recettes ont été ramenées à leur moyenne mensuelle converties en dollar US. L’on peut noter les faits suivants :

— une augmentation des recettes totales, des recettes internes et des recettes douanières moyennes entre 2014 et 2015 dues pour l’essentiel aux recettes sur les produits pétroliers et une baisse de ces recettes moyennes en termes de pouvoir d’achat en dollar en 2016. Une telle évolution reflète le fait que l’accélération de la dépréciation du change et de l’inflation ont réduit le pouvoir d’achat des ménages avec des conséquences néfastes pour le pouvoir d’achat de l’Etat lui-même ;

— une très forte hausse des droits d’accise (+ 287.5%) entre 2014 et 2015 qui reflète l’application du mécanisme légal de taxation des carburants, suivie d’un certain tassement en 2016 due au maintien de la même structure de prix dans le contexte d’une légère augmentation des prix sur le marché international et de l’augmentation de la valeur en douane à cause de la dépréciation de la gourde sans changement de prix au consommateur ;

— une baisse des recettes en dollar provenant de la taxe sur le chiffre d’affaire (TCA) en 2015 et 2016 par rapport à 2014, ce qui indique à la fois une baisse de la demande et une moins bonne performance des administrations fiscales. La forte taxation des carburants est loin d’être neutre quant à la demande d’autres biens et à la capacité de l’Etat à les taxer adéquatement en dépit de la hausse de leur valeur nominale du fait de la dépréciation monétaire et de l’inflation ;

— le produit de l’impôt sur le revenu (ISR) s’est très peu amélioré en 2015 et 2016. Soit les revenus nominaux n’ont pas augmenté, même ceux des entreprises, soit ils ont partiellement échappé au fisc ;

— en résumé, la hausse des recettes sur le carburant a été parallèle à une stagnation ou une baisse des autres sources de recettes fiscales. En effet, les recettes internes ont augmenté, malgré une baisse des recettes de la TCA, grâce à la forte hausse des droits d’accise sur les carburants qui ont ainsi conditionné en partie l’évolution des recettes totales, ces dernières ayant été favorablement influencées pour une autre partie par les droits d’importation toujours sur les carburants. D’un autre côté, les droits d’importations sur les autres marchandises diminuaient à l’instar des importations totales officiellement enregistrées elles-mêmes, ce qui dénote une baisse de la demande interne.

Tableau no 1

Moyenne Mensuelle des Recettes Fiscales en dollars US et indicateurs d’inflation

Catégories de recettes   2014 2015 2016   (1)
Recettes totales   87.9 98.0 93.1
   Recettes internes   60.6 65.5 63.8
         Impôt sur le revenu   21.1 22.6 22.6
       TCA   24.6 24.4 23.6
         Droits d’accise   1.6 6.2 6.6
   Recettes douanières   26.4 31.3 27.9
   Autres recettes   1.0 1.2 1.3
 
Moyenne Tx   change (2)   44.63 48.55 59.44
Var tx change moyen (%)      3.48 % 8.78 % 22.43 %
Var tx change (sept-sept)      3.95 % 13.92 % 15.27 %
 
Moyenne indice des prix   214.7 230.9 259.2
Var   moyenne ind prix (%)   3.95 % 7.55 % 12.26 %
Tx inflation gliss annuel (3)   5.34 % 11.28 % 12.91 %

Notes :
(1) pour 2016, il s’agit de données sur 10 mois (Octobre-Juillet)
(2) la moyenne mensuelle a été utilisée ai lieu du glissement annuel en vue de biaiser le moins possible les valeurs déflatées
(3) Taux d’inflation et variation en % taux de change en glissement annuel de septembre a septembre pour 2104 et 2015 et de juillet a juillet pour 2016.

Source : BRH, MEF et Calculs de l’auteur

A quels facteurs peut-on attribuer un tel phénomène ? La réponse ne peut être ni complète ni définitive, mais on peut mentionner entre autres : la perte de pouvoir d’achat des ménages due à l’inflation et à la dépréciation de la gourde, la forte hausse des prix des carburants dans un tel contexte, la contrebande et la sous-déclaration en douane pour les autres produits, la fraude à l’impôt sur le revenu et la performance assez moyenne des organes de perception. La seule taxation des carburants ne saurait être un remède à tous ces maux.

Rémy Montas

21 septembre 2016